Instantané N° 9 avril 2005

Contulakine-G

Un jour d’été 1935, un jeune homme se promenait le long de la plage de Haymen Island sur les côtes australiennes lorsqu’il tomba sur un coquillage vivant, fort attractif, qui, lui semblait-il, ferait un excellent presse-papiers. Un tel destin, toutefois, n’était pas du goût du coquillage qui répliqua en piquant le brave homme. En quelques minutes, ses membres s’engourdirent, se raidirent et se paralysèrent. Il perdit conscience, tomba dans un coma profond et mourut peu après. Quant au coquillage, malgré sa résistance violente, il ne conserva pas sa liberté et fut ramené sur le continent pour y être étudié.

Le coquillage fut identifié : il s’agissait d’un mollusque connu sous le nom de Conus geographu et appartenant à la vaste famille des cônes, petits animaux très toxiques. Il existe plus de 500 espèces différentes de cônes, et chacune possède au moins une centaine de composants actifs (ou conotoxines) dans leur venin. Une de ces conotoxines est la contulakine-G, une neurotensine. Les neurotensines sont des neurotransmetteurs, c’est-à-dire des molécules responsables de la transmission de l’influx nerveux. Il existe différentes sortes de neurotensines, mais elles se lient toutes à des récepteurs cellulaires spécifiques qui se trouvent à la fois dans le système nerveux central et périphérique où elles sont impliquées dans diverses activités, telles que la thermo-régulation, la pression artérielle, la perception de la douleur ou encore la digestion.

La contulakine-G (du philippin ‘tulakin’ qui signifie ‘pousser’) est la première neurotensine découverte chez les invertébrés, c’est aussi la première dont la structure a été entièrement déterminée. C’est une petite protéine – de seulement 16 acides aminés – qui présente une caractéristique nouvelle chez les peptides des cônes: un de ses résidus est lié à une molécule de sucre, appelée glycan. Lorsque la contulakine-G est injectée dans le cerveau d’une souris, celle-ci devient léthargique. Si on la pousse, au lieu de s’enfuir rapidement, elle se redresse, fait quelques pas et … s’assoupit aussitôt. Quelle est l’explication de ce phénomène singulier?

Les chercheurs pensent que la contulakine-G rivalise avec les neurotensines de la souris, en se liant à leurs récepteurs, empêchant ainsi les liaisons « naturelles » de se faire, ce qui provoquerait toutes sortes de dysfonctionnement chez l’animal, notamment une apathie. Pour le mollusque dans son environnement naturel, ceci est idéal pour attraper une proie ou neutraliser un prédateur. Quant au glycan, il pourrait stabiliser la structure de la contulakine-G la rendant encore plus efficace, ou alors il pourrait servir comme une ‘adresse’ qui dirigerait la contulakine-G vers un récepteur particulier. Mis à part son rôle de toxine, la contulakine-G pourrait également avoir une fonction endogène, c’est-à-dire qu’elle pourrait servir de neurotransmetteur pour le coquillage lui-même.

Les neurotensines semblent impliquées dans des troubles graves, comme la maladie de Parkinson, la schizophrénie, des troubles cardiovasculaires ou encore certains cancers. Il est donc crucial de mieux les connaître. D’autre part, elles semblent avoir un grand potentiel thérapeutique, certaines ont un effet hypotenseur, d’autres soulagent la douleur.
Il est probable que le coquillage que notre jeune promeneur a ramassé n’avait aucunement l’intention de le manger, mais qu’il cherchait plutôt à se défendre – quoi qu’il en soit, les deux ont payé le prix fort pour un presse-papiers.

  • Contulakin-G, Conus geographus: Q9XYR5