Instantané N° 21 avril 2006

Résiline

A l’aube du printemps, la nature se réveille doucement et se prépare à briller tout au long de l’été. Bientôt les insectes se livreront à des exploits sportifs ou sonores qui, à nouveau, nous émerveilleront. En haut de l’affiche, le saut de puce. Capables de se propulser à une hauteur de 20 à 30 cm, les puces n’ont rien à envier aux plus grands champions olympiques. En effet une telle performance représente, pour certaines puces, un saut atteignant jusqu’à 150 fois leur taille ! Plus reposantes, d’autres prouesses invitent au contraire au farniente et à la rêverie. Rappelez-vous le chant des cigales, douce répétition inlassable d’un son ou encore le battement imperceptible des ailes des libellules…

Mais quel peut bien être le point commun de ces performances saisonnières ? La résiline. Il s’agit d’une protéine spécifique des insectes, dont nombre d’entre eux sont dotés. La résiline a des propriétés tout à fait exceptionnelles. Elle est extrêmement élastique, au point qu’elle détrône le meilleur caoutchouc synthétique du monde, le polybutadiène. Elle peut être étirée encore et encore, elle reprendra systématiquement sa forme initiale sans perdre son étonnante propriété. D’où vient sa propriété élastique ? La chaîne d’acides aminés de la résiline est d’une composition singulière. De courtes séquences d’acides aminés se répètent de proche en proche un grand nombre de fois et quasiment à l’identique. Du coup, un acide aminé très particulier est lui aussi répété. C’est la proline. Ce dernier a la forme d’un coude et force la chaîne protéique à se replier en U. La succession de ces virages donnerait finalement à la résiline une structure en forme de spirale, selon l’hypothèse des chercheurs. Dès lors, on imagine aisément que la résiline s’étirerait et se déformerait à la manière d’un ressort.

La résiline ne fonctionne pas seule. Plusieurs exemplaires de la protéine "s’attachent" les uns aux autres et produisent ainsi la substance élastique idéale. Elle se trouve dans des parties du corps à mouvement hautement répétitif comme les pattes arrière des insectes sauteurs, la membrane vibrante des cigales, ou encore les ailes. C’est ainsi que la mouche peut battre ses ailes au moins 500 millions de fois dans sa vie sans qu’elles se déchirent ! Qui plus est, le stock de la protéine caoutchouc n’est pas renouvelé. En effet la mouche adulte vit avec la résiline de sa jeunesse, c’est dire sa résistance à l’effort.

Certains organes humains possèdent également des propriétés élastiques : la peau, les ligaments, les poumons, les artères. Or il n’y a pas de résiline chez l’homme. Cette souplesse tient à l’élastine par exemple et autres protéines élastiques, quoique bien moins performantes. Entre l’homme et la mouche, il n’y a qu’un saut que les scientifiques sont prêts à franchir. Depuis peu, ils ont réussi avec succès à produire de la résiline de mouche en laboratoire. En effet, ce trésor de la nature intéresse au plus haut point l’industrie des matériaux et la recherche médicale. La résiline pourrait servir à l’élaboration de nouveaux implants vasculaires particulièrement efficaces qui permettraient aux artères de recouvrir une meilleure souplesse. Par ailleurs, les chercheurs imaginent aussi la mise au point de prothèses à base de la merveilleuse protéine pour remplacer les disques défectueux situés entre les vertèbres. Décidément, la nature n’aura de cesse de nous inspirer…

Deux autres protéines élastiques dans les soies de l’araignée (en anglais) : An airbus could tiptoe on spider silk

  • Pro-resilin [Precursor], Drosophila melanogaster (mouche du fruit): Q9V7U0