Dossier n°20, mars 2007

être ♂ ou ♀, telle est la question

par Séverine Altairac

[ être ♂ ou ♀, telle est la question ]

On sait parfaitement à quoi ressemble un garçon ou une fille. Les différences entre le corps d'un homme et celui d'une femme ne sont un mystère pour personne. Pénis ou vagin, notre sexe est soit féminin soit masculin. Mais pourquoi sommes-nous munis de l'un ou l'autre ? Devenir homme ou femme intrigue les savants et scientifiques depuis la nuit des temps... Aujourd'hui le corps a livré une part de ses secrets. Les découvertes de ces dernières décennies révèlent que notre destin mâle ou femelle se dessine de l'âge embryonnaire jusqu'à la puberté, sous la baguette d'un cortège de molécules, dont des protéines connues depuis les années 80. [PDF] [english]

A la découverte de X et Y

La population humaine se divise en deux grandes catégories : les hommes et les femmes. Aujourd'hui cette distinction repose essentiellement sur la nature de nos chromosomes sexuels. Exactement vingt-trois paires de chromosomes (1), dont une définissant le sexe, se partagent notre patrimoine génétique. Les femmes possèdent la paire sexuelle XX tandis que les hommes se distinguent par le couple XY.

«Aristote pensait que plus la passion était brûlante, plus les chances de donner naissance à un garçon étaient élevées.»

A l'Antiquité, les savants sont encore bien loin de soupçonner l'existence des chromosomes et diverses théories fleurissent. En particulier, Aristote suggère que l'été est plus propice à la conception d'une descendance masculine et déclare que plus la passion est brûlante, plus les chances de donner naissance à un garçon sont élevées. Il place ainsi la différence entre les deux sexes dans une opposition de froid et de chaud. Il défend que la femme est un homme "inachevé" justement à cause de sa froideur qu'il considère comme un frein au développement des attributs masculins. Le modèle de la "température" persiste au fil des siècles et prend toute sa mesure à la Renaissance. L'homme et la femme y sont définis par une série d'oppositions : froide/chaud, imparfaite/parfait, humide/sec, intérieure/extérieur. Selon ce concept, le sexe de la femme est naturellement un sexe masculin inversé que la froideur retient à l'intérieur du corps. Il faudra attendre le siècle des Lumières pour que l'homme et la femme soient décrits d'un point de vue purement anatomique.

L'année 1890 amorce un nouveau virage lorsque le biologiste allemand Hermann Henking isole le chromosome X. Une dizaine d'années plus tard, Clarence E. McClung propose que cet élément "accessoire", à la fonction alors incomprise, soit lié au sexe mâle. Peu de temps après, la biologiste Nettie M. Stevens et le professeur Edmund B. Wilson, tous deux américains, entreprennent d'élucider son rôle. Chacun de leur côté, ils publient en 1905 des observations similaires : chez certains insectes, le sexe est déterminé par la présence d'un petit chromosome chez le mâle et d'un grand - en l'occurrence X, chez les femelles. Conscients que leur découverte ébranlera l'école qui leur fait face et qui, elle, prône l'influence de l'environnement, ils continuent dans les années suivantes à rechercher des confirmations de leurs premiers résultats. L'ironie de l'histoire veut que leur principal opposant expose, un peu plus tard, leur théorie au grand jour. Initialement fort sceptique devant les conclusions de Stevens et Wilson mais n'adhérant pas pour autant à l'hypothèse de l'environnement, le professeur Thomas H. Morgan, spécialiste de la génétique chez les mouches, épouse en effet leurs idées en 1910 pour expliquer ses travaux. C'est finalement lui qui apportera une illustration incontestable de la détermination chromosomique du sexe, et laissera ainsi son nom gravé dans l'histoire des sciences.

«Le sexe masculin serait-il en voie de disparition ?...»

Les découvertes reprennent leur cours en 1912. Hans von Winiwarter constate que la femme présente deux exemplaires du chromosome X alors que l'homme n'en porte qu'un. Quant à Y, longtemps passé inaperçu du fait de sa petitesse, la lumière sur son existence est faite bien plus tard. Le zoologiste américain Theophilus S. Painter le découvre chez plusieurs animaux et chez l'homme au début des années vingt.

Ce n'est certes pas un hasard si X et Y n'ont pas été identifiés conjointement. Ils forment le couple le plus mal assorti. Si nos chromosomes s'associent en effet dans des paires similaires selon le credo "qui se ressemblent s'assemblent", X et Y font figure d'exception. X est d'une taille tout à fait "conforme" à celle des autres chromosomes, tandis que Y est étonnamment court. Leur contenu diffère également singulièrement. X affiche environ 1100 gènes alors que Y peine avec ses 76 gènes. Pourtant ils partagent une même origine et il fut un temps où ils se ressemblaient étrangement. L'évolution a cependant largement escamoté Y sur sa longueur et ce en quelque 300 millions d'années. Un processus de dégradation certes lent mais qui paraît inexorable. "Y" serait-il menacé ? Le sexe masculin serait-il en voie de disparition ?... Les scientifiques ne s'inquiètent pas seulement sérieusement du devenir du chromosome mais s'interrogent aussi sur la pérennité de l'espèce humaine...

De l'intérêt des sexes

Dans la nature, XY ne forme pas l'unique couple chromosomique sexuel ; il n'appartient qu'aux mammifères. Par exemple, les oiseaux en possèdent un autre, dont les chromosomes ont été baptisés Z et W. Les poissons, les reptiles et les amphibiens sont quant à eux soumis à l'influence de leur environnement. Le sexe est en effet bien souvent imposé par la température à laquelle l'œuf est incubé.

Toujours est-il que "sexes" rime avec "reproduction". La reproduction dite sexuée unit deux organismes de sexe opposé. Chez les humains, la descendance naît de la fusion entre deux gamètes : le spermatozoïde du père et l'ovocyte de la mère. Or tous les êtres vivants n'ont pas recours à la sexualité pour se reproduire. Les levures, les bactéries, certaines abeilles ou encore les plantes à certaines périodes de leur vie contournent cette règle via un mode asexué - en se scindant en deux, pour ne citer qu'un exemple. Si la reproduction asexuée est plus économique en énergie, l'avantage incontesté de la sexualité est le brassage des patrimoines génétiques maternel et paternel. De la sorte, chaque individu hérite d'une nouvelle combinaison génétique propre à lui seul.

La naissance des sexes

Mis à part la présence des chromosomes X et Y chez les hommes et de deux chromosomes X chez les femmes, qu'est-ce qui détermine concrètement le devenir garçon ou fille ? Un ensemble de molécules. Protéines et hormones vont en effet se succéder pour modeler le corps sexué, des premières semaines de la gestation à la puberté. Tout commence dans l'utérus après la fécondation. Bien que l'embryon soit déjà XX ou XY, il n'est ni mâle ni femelle jusqu'à la sixième semaine de grossesse. Il n'a ni ovaires ni testicules, mais des glandes génitales alors indifférenciées. Toutefois il est équipé d'un double système de conduits génitaux : les canaux de Wolff et les canaux de Müller qui évolueront, le premier vers la voie mâle, et le second vers la voie femelle.

Fig.1 Appareil reproducteur de l'homme

Naissance du sexe ♂
Vers la septième semaine de grossesse, une protéine, plus précisément une hormone testiculaire, l'AMH - pour Anti-Müllerian Hormone- est secrétée chez les embryons XY. Comme son nom le suggère, sa mission est de faire disparaître les canaux de Müller. Puis, à l'approche de la dixième semaine, la testostérone, une hormone stéroïdienne fabriquée à partir du cholestérol dans les glandes mâles, prend le relais et va stimuler le développement des canaux de Wolff. Ces derniers seront à l'origine des canaux déférents qui conduiront les spermatozoïdes des testicules vers l'urètre (voir fig.1).

Naissance du sexe ♀
La transformation sexuelle de l'embryon XX s'opère, quant à elle, avec un léger décalage, soit à partir de la dixième semaine de grossesse. Sans les hormones masculinisantes AMH et testostérone, les canaux de Müller persistent tandis que les canaux de Wolff régresseront totalement. C'est ensuite grâce aux hormones ovariennes, les oestrogènes, que les canaux de Müller donneront naissance aux trompes de Fallope puis à l'utérus et une partie du vagin (voir fig.2).

Les organes génitaux internes -ovaires, utérus, testicules, prostate,...- et externes -glandes mammaires, pénis,...- poursuivront leur développement, sous la dépendance des hormones produites par les glandes génitales, au cours de la vie utérine pour s'épanouir pleinement au moment de la puberté et signer, de manière définitive, l'apparence sexuée de l'individu adulte.

Le sexe féminin, un sexe par défaut ?

On devient un garçon grâce à l'action précoce d'une protéine "mâle", l'AMH. En son absence, on devient à l'évidence une fille. Le sexe féminin serait-il alors un sexe par défaut ? Il s'agit là d'un concept né dans les années cinquante et resté vivace pendant de longues décennies.

Fig.2 Appareil reproducteur de la femme

Son origine remonte aux travaux d'Alfred Jost. En 1947, le biologiste français montre que l'ablation des glandes génitales indifférenciées chez le lapin embryonnaire entraîne systématiquement un développement femelle, vraisemblablement sous l'effet des hormones maternelles, au niveau des organes aussi bien internes qu'externes. L'idée est lancée. Les fœtus XX ou XY détiennent un programme commun "féminin" contrecarré chez le mâle par voie hormonale. L'observation ultérieure d'hommes à l'étrange combinaison XXY ou de femmes possédant un unique X donne un rôle pivot au chromosome Y. L'hypothèse du rôle dominant de Y dans le déterminisme mâle ou femelle prend alors racine.

Dès lors, les scientifiques s'attèlent à arracher à Y son mystère et c'est seulement en 1990 qu'ils isolent SRY, "la protéine qui déciderait" de notre profil sexuel. L'ajout du gène de SRY chez un embryon XX de souris donnent des résultats renversants. Toutes les souris, sans exception aucune, deviennent des mâles. Comment intervient la protéine ? C'est un facteur de transcription . SRY agit précocement dans le développement embryonnaire en influençant la production de protéines, encore à découvrir pour la plupart. En revanche, il est connu que SRY stimule indirectement la fabrication de l'AMH, l'hormone anti-Müllerienne qui engage l'embryon dans la voie mâle.

Le profil mâle semble soumis à la présence de la protéine SRY. Mais existerait-il une protéine équivalente, dont le gène serait porté par X et qui à l'inverse serait capable de métamorphoser un embryon XY en femelle ? Certains scientifiques se sont posé la question bien avant l'identification de SRY. Pourtant les découvertes piétinent. Absence de résultats concluants ? Difficultés techniques ? Reflet scientifique de l'image sociale de la femme ? Quoiqu'il en soit, l'année 1994 semble annoncer un tournant décisif. Les chercheurs pensent alors enfin détenir la clé du déterminisme génétique féminin avec la protéine DAX1. Ladite protéine est un facteur de transcription qui agit sous l'impulsion d'une molécule, pour l'heure inconnue, qui se lie à elle. A ce jour, on n'a décrypté son mécanisme que partiellement. DAX1 semble bien avoir un rôle dans le développement ovarien mais il ne s'avère pas aussi déterminant que celui de SRY dans le développement des testicules. De plus, on sait que l'ajout de DAX1 chez un embryon XY de souris, bien qu'il contrarie son développement testiculaire ne le réprime pas totalement. Le concept du sexe féminin par défaut s'en trouve fissuré mais n'est pas encore définitivement mis à terre.

«Certains pseudo-hermaphrodites naissent filles puis deviennent garçons.»

Octobre 2006 : nouveau rebondissement. Les travaux dirigés par l'Italienne Giovanna Camerino révèlent des observations surprenantes. Dans une famille italienne, plusieurs frères sont XX. Quoique stérile, chacun est pourvu de tous les atouts masculins. D'autres hommes XX avaient précédemment déjà attiré l'attention et on avait alors découvert qu'ils avaient hérité du gène SRY paternel suite à son transfert de Y sur X. Mais les frères italiens ne portent pas SRY. Comment se fait-il alors qu'ils soient "mâles" ? En étudiant la fratrie, les chercheurs ont fait une double découverte : une protéine connue sous le nom de RSPO1 est absente chez ces frères, suite à une modification de son gène, alors qu'elle semble essentielle dans le déterminisme sexuel de la femme. C'est une première. La découverte est de taille ! RSPO1 serait-elle "l'homologue" tant recherché de SRY ?

La surprise des chercheurs a du être à la hauteur de leur étonnante découverte. Rien ne laissait en effet présumer l'implication de RSPO1 dans la détermination sexuelle. Jusque là, on savait que la protéine était un membre d'une famille de facteurs de croissance , les R-spondines, qui intervient dans la formation des cellules de la peau. Maintenant, les chercheurs savent aussi que cette protéine est produite par les cellules ovariennes/testiculaires et que RSPO1 paraît indispensable au développement sexuel féminin puisqu'en son absence, il ne peut être initié et cède la place à l'acquisition des organes masculins.

Le mythe d'hermaphrodite

Les frères italiens dont l'histoire vient d'être relatée ne sont pas les seuls à souffrir de ce genre de bizarreries de la nature. Très rares, les anomalies affectant les chromosomes sexuels sont toutefois diverses et rendent généralement stériles ceux qui en sont victimes. Autre exemple, en miroir aux hommes XX, certains individus XY se révèlent être des femmes car dépourvus du gène SRY. Plus déconcertantes encore sont les personnes qui héritent d'un nombre anormal de chromosomes sexuels. Parmi eux, on retiendra ceux qui sont affectés du syndrome de Turner ou de celui de Klinefelter, plus fréquents que les autres. Vivent avec le syndrome de Turner les femmes X0 - soit avec un seul X et sans Y. Dotées d'un utérus et d'ovaires réduits, elles sont souvent de petite taille et ne développent ni seins ni pilosité. A l'opposé, le syndrome de Klinefelter concerne les hommes XXY. Enfants plutôt grands, les testicules demeurent atrophiés et stériles à la puberté tandis que des glandes mammaires peuvent bourgeonner. Ces troubles détectés dans l'enfance peuvent être heureusement corrigés à l'âge pubère à l'aide d'un traitement hormonal.

Le mythe d'Hermaphrodite illustre à merveille l'idée d'être homme et femme à la fois. Fils d'Hermès et d'Aphrodite, le jeune homme fut la proie amoureuse de la nymphe Salamacis. Pour ne plus être séparée de son bien-aimé, la nymphe obtint de ne former avec le jeune homme plus qu'un seul être. A l'image du personnage mythologique, les rarissimes individus dits hermaphrodites peuvent posséder à la fois des cellules XX et XY. Il en résulte une co-existence de testicules et d'ovaires, accompagnée d'anomalies des organes génitaux.

Fig.3 Hermaphrodite endormi, copie romaine d'un original grec. IIe siècle ap. J.-C. La silhouette féminine cache un sexe masculin.

Autre personnage fictif hors du commun : Cal Stephanides. Inspiré par un cas réel, l'auteur Jeffrey Eugenides relate la vie d'un pseudo-hermaphrodite dans son roman Middlesex. Née petite fille, Cal Stephanides vit une seconde naissance à l'adolescence quand elle devient un jeune homme. L'héroïne/héros est un exemple particulier de pseuso-hermaphrodisme mâle, conséquence d'une modification d'une protéine, la 5-alpha réductase de type 2. Cette dernière transforme normalement la testostérone, étape nécessaire à la formation des structures génitales externes masculines chez l'embryon. Les individus XY porteurs de la protéine défectueuse naissent avec un vagin et un clitoris plus ou moins développé, mais sans utérus ni scrotum apparent. Ils sont par conséquent élevés en tant que fille. Cependant à la puberté, suite à la descente des testicules, ils acquièrent l'apparence et l'identité sexuelle mâles. En réalité, diverses anomalies protéiques, qui se traduisent généralement par un dysfonctionnement hormonal, conduisent à un pseudo-hermaphrodisme aussi bien chez les personnes XX que XY. L'ambiguïté des organes génitaux peut prendre une telle ampleur que les pseudo-hermaphrodites peuvent être amenés à "choisir leur sexe", chirurgicalement, afin d'affermir leur identité.

Etes-vous ♂ ou ♀ ?

Toutes ces étrangetés et paradoxes de la nature soulèvent une question centrale. Comment définir le sexe d'un individu ? Par la formule chromosomique -XX ou XY- comme le déterminent les tests de féminité pratiqués lors des Jeux Olympiques ? Par la détection d'ovaires ou de testicules, méthode qui eut le vent en poupe dans la deuxième moitié du XIXe siècle ? Par l'examen des organes génitaux externes, comme on le fait le plus souvent aujourd'hui à la naissance ? C'est pourtant bien dans les premiers instants de la vie que le sexe social est "tranché" : on est garçon ou fille.

Et qu'en est-il de notre sexe cérébral ? Voilà un autre aspect, non documenté ici mais tout autant important dans la construction de la personnalité. Le cerveau se sexualiserait lui aussi au moment de la puberté sous influence hormonale et creuserait ainsi certaines différences entre les hommes et les femmes. Mais l'histoire personnelle de chaque individu pèse également lourd dans l'épanouissement de l'identité sexuelle. On parle alors de sexe psychologique. On naît fille ou garçon. Mais se sent-on homme ou femme ? Peut-on devenir ce que l'on pense être ? Vaste débat de notre société actuelle qui s'interroge sur la reconnaissance sociale des homosexuels et des transsexuels. Le sexe n'a pas fini de faire parler de lui...

Pour en savoir plus
1. Institut national de Recherche Pédagogique, Les déterminismes du sexe: http://www.inrp.fr/biotic/procreat/determin/html/synthese.htm
2. Syndromes de Turner et Klinefelter: http://www.aaa.dk/TURNER/French/index.HTM
3. La recherche Hors-série, "Sexes, comment on devient homme ou femme", numéro 6, novembre- décembre 2001/janvier 2002
4. Développement embryonnaire: http://www.embryology.ch/francais/ugenital/planmodgenital.html
5. Article sur la protéine SRY (en anglais), Protein Spotlight: The tenuous nature of sex

Références vers UniProtKB/Swiss-Prot

  • Anti-Muellerian hormone (AMH), Homo sapiens (humain): P03971
  • Sex-determining region Y protein (SRY), Homo sapiens (humain): Q05066
  • Steroid 5-alpha-reductase 2, Homo sapiens (humain): P31213
  • Nuclear receptor DAX-1, Homo sapiens (humain): P51843
  • R-spondin-1 (RSPO1), Homo sapiens (humain): Q2MKA7
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<http://www.prolune.org/prolune/dossiers/020/>