Instantané N° 30 janvier 2007

Dermaseptine

Avant de partir à la chasse, les hommes de certaines tribus sud-américaines raclent la peau d'une grenouille pour en recueillir un suc qu'ils appliquent sur des brûlures fraîches infligées sur leur bras ou leur torse. Il s'ensuit une heure de vomissements, d'incontinence, de battements accélérés du cœur, de fortes sueurs, et enfin d'une torpeur qui peut durer un jour ou plus. Au moment où ils reprennent leurs esprits, les chasseurs se sentent "forts et dotés d'une acuité des sens", comme l'a décrit le biologiste Peter Gorman dans ses notes prises sur le terrain. Force et acuité que les chasseurs qualifient de "magie des chasseurs".

La peau d'une grenouille, comme celle de tous les amphibiens, est recouverte de petites protéines en tout genre qui la protègent de la compagnie toxique de petits organismes tels que les bactéries, les virus ou les champignons. La dermaseptine est l'une de ces nombreuses protéines. Elle est secrétée à la surface de la peau de grenouilles sud-américaines appartenant au genre Pyhllomedusa. La dermaseptine décime les microbes en interférant avec leur membrane extérieure, probablement en se glissant entre les lipides qui la compose et en dérangeant sa structure. Par conséquent, la perméabilité de la membrane est modifiée et le microbe, s'il n'est pas tué, perd son agressivité.

L'intérêt pour la dermaseptine, et plus particulièrement pour la dermaseptine-4, est vif depuis que les chercheurs ont découvert qu'elle pouvait contrarier quatre agents d'intérêt médical : le virus de l'herpès, le virus du SIDA, le parasite Plasmodium falciparum à l'origine de la malaria... et les spermatozoïdes. Dans chaque cas, la dermaseptine perturbe l'arrangement des lipides dans la membrane. De ce fait, le spermatozoïde ne peut plus se déplacer, le virus de l'herpès ne se lie plus aux cellules qu'il voudrait infecter et le Plasmodium falciparum ne peut plus se multiplier. Bien que l'action de la dermaseptine sur le virus du SIDA soit probablement similaire, son rôle dans l'infection virale semblerait moins direct. En effet, le virus a besoin de lésions au niveau des muqueuses pour atteindre les nodules lymphatiques et déclencher ainsi une infection. Dans la majorité des cas, de telles lésions sont générées par des microbes. Or la dermaseptine tue justement les microbes. Par conséquent, les microbes sont moins nombreux, les lésions plus rares et les chances pour que le virus du SIDA frappe s'amoindrissent.

Les grenouilles constituent une source de protéines antimicrobiennes depuis 1969. Il est toujours important d'en découvrir de nouvelles et d'avoir les moyens de les modifier. Et pour cause, tout agent toxique trouve avec le temps le moyen de tromper son ennemi. En outre, la création d'un médicament efficace exige une grande activité antimicrobienne mais une toxicité réduite. La malaria, comme le SIDA, tue des millions de gens chaque année. La dermaseptine semble avoir de l'avenir car non seulement elle pourrait être employée en tant que contraception vaginale mais pourrait aussi contrer des maladies sexuellement transmissibles. Alors, magie médicale?

Lire aussi Protein Spotlight issue 7 et issue 18 (en anglais): "When a frog swallows a fly" et "Smart sweat"

  • Dermaseptin-4, Phyllomedusa sauvagei (grenouille singe): P80280